L'inversionnisme

 


La couleur a traversé le siècle depuis le feu d'artifice impressionniste, avec des problématiques diverses, souvent inverses, et en répondant à des comportements extrêmement différents et composites. Elle fut utilisée de manière empirique et sensuelle par Monet et ses amis, en tourbillons lyriques par Van Gogh, en saturation par à-plats, avec Gauguin, et puis, par alternance, de manière volontariste et scientifique avec le pointillisme, le suprématisme Mondrian, l'abstraction géométrique et la théorie d'Herbin, mais plus généralement en applications spontanées, libres et sauvages (fauvisme, expressionnisme, abstraction lyrique, monochromie).

Dans tous ces cas, la ligne de partage sépare la perception rétinienne, l'effet optique, les rapports chromatiques, d'une part, de la coloration pure, de la gestuelle effusionniste et des nappes pigmentaires, d'autre part.

Il est singulier que Michel Picouet n'appartienne à aucune de ces deux familles. S'il reconnaît évidemment sa dette aux impressionnistes, il ne cherche pas à créer un mélange optique par tâches séparées sur le tableau, ni à faire appel aux complémentaires pour obtenir une perception synthétique. Il n'est pas non plus le peintre des couleurs assénées arbitrairement pour répondre à une émotion, à une viscéralité, à une mise en question du monde.

Sa manière de procéder, l'inversionnisme, indique bien que les couleurs complémentaires qui sont utilisées dans des paysages, par exemple, sont des mises en place systématiques, des actes concertés. Mais le but n'est pas d'obtenir d'abord un effet esthétique, une harmonie chromatique, mais d'interroger l'énergie lumineuse contenue dans le blanc et absorbée par la couleur de chaque objet dans ce paysage (arbre, maison, plan d'eau, etc...)

C'est donc cette énergie, inverse de la couleur visible, qui est restituée sur le tableau, révélant ainsi l'en dedans des choses, la force vitale et spirituelle de la création.

L'éventail des couleurs que PICOUET met en place, même s'il s'agit d'un agencement déduit, d'une désignation automatique, n'interdit pas que, par le jeu inverse des valeurs, par la régulation des forces cachées, par la mise au jour de ce qui a été occulté, une nouvelle harmonie prenne naissance, sans l'arbitraire des choix subjectifs. Un équilibre et une nécessité autre s'instaurent, la dynamique des forces absorbées et contraintes éclate et gouverne un monde qui est une addition de soustractions, une restitution de la plénitude spectrale du soleil, un primat de l'être caché sur le paraître et l'évidence superficielle.

PICOUET donne son cheminement personnel qui, partant des grandes intuitions, des questionnements méthodiques ou des pénétrations théoriques des plus grands, passe par Manuel GIL auquel il rend hommage et qui a initié sa recherche.

La fascination pour le blanc chez les modernes, qui est le pendant de l'investissement plastique, intellectuel et moral dans la couleur, trouve ici son exaltation inversionniste. Le rouge répond du vert, le violet du jaune (comme s'ils en étaient responsables), non pour faire jouer les complémentaires mais pour occuper une place virtuelle, pour retrouver la totalité de la couleur par la force inverse qu'elle contient.

Gérald GASSIOT-TALABOT - 1995

The importance of color has persisted in this century; from the fireworks of the Impressionists onward, the application of color has been linked to diverse and even opposing issues, and has been a response to diverse and heterogeneous attitudes. Color was used in a sensual and empirical way by Monet and his circle, in lyrical whirlwinds by VanGogh, in saturated, solid fields by Gauguin and then, intermittedly, in a scientific and philosophically voluntarist way by the Poitilists, the suprematists and the geometric abstractionists, as well as by Herbin's theory and Mondrian. Most generally this century, color has served in spontaneous, free and savage applications (Fauvism, Expressionism, Lyrical Abstractionism, Monochromism).

In every case, a dividing line separates retinal perception, optical effect and chromatic balance on the one hand and pure coloration, effusive action-painting and pigmentary layering on the cher.

Michel Picouet, however, doesn't belong to either one of these two camps. Though he clearly recognizes an indedebtedness to the Impressionists, the Fauves and the Expressionists, his paintings constitute neither an effort to create an optical mixture through solid fields of color, nor do they constitute an aim for synthetic perception in their use of complementary colors. Moreover, if Picouet is known as the painter of powerful and even bombardin~ colors, it is not for an arbitrary response ta an emotion, a viscerality or a challenge to the world.



His process, inversionism, suceeds in indicating that the use of complementary colors in landscapes, for example, is a s stematic production, a concerted act. The goal is not one of an immediate esthetic effect nor an immediate chromatic harmony, but of an interrogation of the luminous energy contained in white and absorbed by the color of each object in the landscape (tree, ouse, lake, etc).

It is therefore this energy, the inverse of visible color, which is re-created on the canvas and which reveals the substance of all things, the vital and spiritual force of creation.

The variety of colors arranged by Picouet never prohibits (even when the layout is inferred and the designation, automatic) the birth of a new harmony. Such a new harmony is free of the arbitrary influence of subjective choices due ta an inverse play of values, a regulation of hidden forces and a bringing to light of that which has been obscured. Picouet's work institutes another balance and another necessity, the dynamics of absorbed and constrained force explodes and governs a world that is the addition of substractions, the restoration of the sun's spectral plenitude, the primacy of the signified behind the signs of all the world's superficial evidence.

Picouet's personal development emerges from the greatest of intuitions and methodical inquiries or from art history's most important theorical analyses and pays homage to Manuel Gil, who initiated his research.

A modern fascination for the color white, a counterpart to the plastic, moral and intellectual investment in color, finds here its inversionist exaltation. Red responds to green and purple, to yellow (as if they were responsable for them), not in order to play off their complementarity but to occupy a virtual place, to regain the totality of color by the inverse power which it contains.

Gérald GASSIOT-TALABOT - 1995